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Déc 07

L’Obs et l’illusion de l’information !

Dans un récent article du nouvel observateur, http://rue89.nouvelobs.com/2014/06/12/coupe-monde-football-lillusion-donnees-252879 dont le titre est révélateur :
Le football et l’illusion des données, on comprend ce qu’est le journalisme d’aujourd’hui ou tout au moins le journalisme de sensation (par opposition à celui que l’on nomme d’investigation).

Le titre est sans appel et exprime la sentence sans aucune analyse ! Pas de présomption d’innocence ! La pauvreté de l’argumentaire qui suit et la compassion feinte avec l’accusé achèvera l’animal blessé !

Qu’un journaliste puisse confondre données et information est symptomatique de la dérive journalistique mentionnée au quotidien par les interviewés ici ou là ! Le journalisme n’informe plus, il endoctrine !

« Comme tout, le sport est gagné par la statistique » est le type même  phrase d’introduction que j’écrivais pour entrer en matière dans mes rédactions de sixième. Outre cette médiocrité de forme, cette affirmation est fausse sur le fond ! Il y a en effet bien longtemps que la statistique s’est intéressée au sport et que par conséquent le sport s’est intéressé à la statistique ! Le modèle de Bradley et Terry proposé en 1952 a été dès sa diffusion appliqué à l’analyse statistique de tournois sportifs. L’association des statisticiens et historiens du cricket a été créée en 1973, in England, of course ! L’association statistique américaine a ouvert sa section : Statistics in sport en… 1993 ! et deux universités américaines l’université Lincoln du Nébraska ainsi que l’Université Simon Frazer ont mis en place depuis plus de 10 ans chacune un cours nommé « Statistics in Sports » que nous conseillons à notre journaliste !

La vraie phrase devrait être : bien après les autres, le sport français s’intéresse enfin….. à la statistique !

La phrase qui suit « L’expérience est frappante pour le téléspectateur qui voit s’ajouter toute sorte de données nouvelles » ajoute à la confusion déjà évoquée : donnée versus information, la nouvelle confusion : statistique versus données.

Il serait injuste d’en vouloir à un journaliste qui comme beaucoup de ses confrères ne sait pas de quoi il parle ! Pour faire simple nous rappellerons ici, ce qui traîne par ailleurs sur ce site : l’objectif de la statistique est de transformer des données en informations compréhensibles. Quoi de plus proche de la mission du journaliste ??? transformer ses sources en informations accessibles à tous ? Dès que l’on a compris cette analogie (plus qu’évidente pour celui qui réfléchit quelques secondes), on comprendra que l’on peut reprendre l’article du nouvel obs en remplaçant, données par sources, statistique par journalisme et information par information et l’on construira facilement un article qui dénigre le journalisme.

Dans le code de déontologie du journalisme, on trouve la phrase suivante : le journaliste ne rapportera que les faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas les informations essentielles,…
Vérifier ses sources, ça s’appelle en statistique valider les données et c’est effectivement une des bases de la déontologie !

Comme le dit la déontologie journalistique : il ne faut pas supprimer d’informations essentielles !!! et qui dit supprimer suppose qu’on en a disposé et donc qu’on les a cherchées ! Notre journaliste qui ne s’est informé de rien comme nous l’avons déjà montré et donc en contradiction flagrante avec les principes déontologiques.

Pour sortir de la critique (facile au demeurant), il faut enfin être constructif pour que le lecteur y retrouve son compte.

Premièrement, comme il a déjà été dit, il ne faut pas confondre les données (l’information brute c’est-à-dire inexploitable) et l’information élaborée, compréhensible par tout un chacun ! Les données fournies n’ont pas à être jugées (et ne peuvent d’ailleurs l’être) dans l’absolu. Au niveau de compétition de Rolland-Garros, il est fort probable que les joueurs font à la fois le maximum pour gagner et le minimum pour se préserver physiquement et qu’il est donc sans intérêt de juger dans son fauteuil si 56 m est beaucoup ou 42 m peu ! Sans vouloir comparer les deux choses, c’est un peu comme si on jugeait un conflit à l’aune stricte du nombre de morts ! Aucun nombre n’a de valeur absolue en statistique, tout doit être évalué dans un contexte. La statistique n’est donc ni confessionnelle, ni idéologique !

Notre journaliste a donc peut-être (quand même !) touché là un premier aspect du problème : seules des données brutes : vitesses, distances,…. sont fournies et encore pas de manière exhaustive. Les données ne sont donc ni fiables ni analysées : un peu comme si un journaliste fournissait ses sources sans même les recouper ! Mais l’explication la plus vraisemblable n’est pas celle qui est proposée. Il est fort probable que rien d’autre ne puisse être fourni au téléspectateur : impossibilité de mesurer les distances courtes, imprécision excessive des mesures, coût prohibitif des méthodes de traitement, impossibilité de fournir des analyses élaborées ! La simple explication est que la France est en retard, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres ! par exemple la surveillance des filières intégristes !

Plus que la modernité, la capacité à mobiliser un raisonnement statistique montre la « performance », l »intelligence » des données comme on dit ! En produisant des statistiques, on ne veut pas rendre le sport moderne, on veut simplement le rendre intelligent et montrer par ailleurs que l’on est aussi intelligent que les américains, ce qui n’est pas le cas ! Google fait bien plus et bien mieux !

Si comme le dit l’article « Certains clubs, les plus riches, se dotent de statisticiens pour traiter ces chiffres. Un marché s’est ouvert, avec des entreprises, comme Opta, spécialisées dans le recueil et le traitement des données sportives. », comment peut-on dès lors écrire et faire croire que tout cela ne sert à rien et n’est pas exploitable. Il y a là une contradiction qui devrait laisser le lecteur dubitatif ! Évidemment, ces données sont utiles ! sinon pourquoi payer des statisticiens ? Évidemment traiter ces données est très complexe, sinon pourquoi les payer si cher ?

Nous avons indiqué plus haut que la phrase d’introduction ressemble à nos plus piètres rédactions, mais c’est le cas de tout l’article : thèse – antithèse – synthèse !
Thèse : un décor de chiffre = tout cela ressemble, à première vue, à du vent
Antithèse : des tibias connectés = ça a la couleur de la technologie mais c’est en réalité une affaire de fric
Synthèse : et chagrin d’amour du goal = et donc en réalité c’est bien de la foutaise !

Avec les arguments du dernier paragraphe, on sombre dans la pire des généralisations qui soit !
Que faire du joueur indisposé par l’odeur du déodorant de l’adversaire qui lui colle aux fesses depuis une heure ? Que faire du chagrin d’amour que le gardien cache à tous et qui retarderait d’un dixième de seconde son réflexe ? Que faire de la blessure qui enorgueillit ? De celle qui ne se détecte pas ? Que faire des états d’âme et des accidents ?

En ce qui concerne les chagrins d’amour : on a déjà plusieurs fois remarqué que c’était une cause d’accidentologie aérienne, est-ce pour autant que le système d’Airbus n’est pas fiable alors qu’il ne prend pas en compte l’état sentimental du pilote ?

En ravalant les choses complexes au rayon des fantaisies, l’obs nous prépare au journalisme de demain !

(1 commentaire)

  1. Claire Leroy

    Merci beaucoup pour votre article, qui lève un double malaise pour la débutante en statistique que je suis.

    1. Le premier malaise consiste à être inondé, dans de nombreux domaines, dont le sport, de données présentées sous forme d’informations. Or, sauf à connaitre un peu le domaine, on ne peut effectivement rien déduire de ces données, qui ne font l’objet ni d’analyse ni de mise en perspective dans le temps ou dans l’espace. On hésite donc entre deux réactions : penser qu’on est idiot, ou conclure que ça ne sert effectivement à rien, que c’est du cosmétique, du sensationnel.

    2. Le deuxième malaise survient quand un journaliste, qu’on espère professionnel, confirme, comme c’est le cas dans l’article que vous citez et que j’avais lu, que ça ne sert à rien ! Passée la déception première liée à cette confirmation, et en réfléchissant un peu, on se demande quand même pourquoi on paye des spécialistes pour collecter ces données, et donc, pourquoi le journaliste ne s’est pas également posé la question pour tenter d’y répondre un peu sérieusement, autrement qu’en bottant finalement en touche avec le chagrin d’amour du gardien de but !
    Mais non, il n’a rien à dire de plus ! confirmer une ineptie lui suffit ! L’incompétence confirme l’incompétence, circulez !

    Votre article et votre analyse sont donc un véritable soulagement : oui, une fois de plus, la France est en retard mais son arrogance lui interdit de l’admettre, oui, les données sont utiles si elles sont collectées dans un but précis et analysées avec intelligence, donc transformées en information pour les décideurs, qu’ils soient entraineurs sportifs ou chefs d’entreprise !
    Pas pour trouver la vérité ou la stratégie parfaite, comme l’aboie l’article, mais, il me semble, pour améliorer ses performances, appréhender le monde tel qu’il est, et éviter les gaspillages et les erreurs les plus prévisibles.
    Alors effectivement, l’intelligence des statisticiens devient un investissement.

    Ce journaliste n’a de journaliste que le nom, comme vous le démontrez.
    Mais peu de gens semblent en avoir conscience et encore moins envisager les risques que cela comporte. C’est inquiétant.
    Continuez, vos analyses sont passionnantes !

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